Souvenirs

Gaëlle Steinberg

1
Je me souviens bien du jour où j’ai ouvert la fenêtre. Ma nourrice venait de mourir. Elle m’avais toujours autorisé à refuser de l’ouvrir. Et puis je l’ai accepté. Sa mort et j’ai ouvert. Un bateau passait là juste comme. L’eau déjà à flots coulait et noyait la moquette qui nous avait tant gratté nos galipettes et moi. Le bateau fumait et les matelots harponnaient. Et soudain sa tête au bout de leur lance.

2
Et puis là j’ai commencé à couler, empêché par les bulles buccales qui de moi s’échappaient en sens contraire au fond attirant de l’océan, fuyaient en l’air gloutonnes d’oxygène, grossissant à tir d’aile, bullant comme ventre de bœuf, pour aussitôt revenir s’assoupir pesantement sur ma calebasse de plus en plus terrassée. Alors ma langue en pic d’acidité est sortie de sa cavité d’affûtage et pic nidouille bientôt toutes crevées les baudruches écrasantes ! Alors promptement j’ai clos le chapitre et le vase trop plein, poussé tout le monde dehors comme si en arrière tout s’aspirait. Et parfois j’entend parler et gronder de l’autre côté.

   
"Quelqu'un a vu mon nez ?"

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